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Cependant, même un fou ne doit-il pas se fier à son propre esprit, à sa propre expérience, plutôt qu’à ceux des autres ?
Dans la froide quiétude du matin, Brise observait un spectacle des plus décourageants : le retrait de l’armée de Cett.
Brise frissonna et se retourna vers Clampin, tandis que son haleine s’échappait de sa bouche en volutes blanches. La plupart des gens n’auraient pas été en mesure de lire au-delà de l’expression méprisante qu’affichait le général trapu. Mais Brise y voyait davantage : il lisait une certaine tension dans la peau tendue autour des yeux de Clampin, remarquait la façon dont il tapotait du doigt contre le mur de pierre couvert de givre. Clampin n’était pas un homme nerveux. Ces mouvements signifiaient quelque chose.
— Alors ça y est ? demanda Brise.
Clampin hocha la tête.
Brise ne le voyait pas. Il restait deux armées, là-dehors ; ils se trouvaient toujours dans une impasse. Cependant, il se fiait au jugement de Clampin. Ou plutôt, il se fiait assez à sa propre connaissance des gens pour se fier au jugement de Clampin.
Le général savait quelque chose que lui-même ignorait.
— Si vous vouliez bien m’expliquer, déclara Brise.
— Tout ça prendra fin quand Straff aura compris, répondit Clampin.
— Compris quoi donc ?
— Que ces koloss se chargeront du boulot pour lui s’il les laisse faire.
Brise hésita. Straff ne se soucie pas vraiment des habitants de cette ville – il veut simplement s’en emparer pour l’atium. Et pour la victoire symbolique.
— Si Straff se retire…, commença Brise.
— Les koloss vont attaquer, répondit Clampin en hochant la tête. Massacrer tous les gens qu’ils croiseront et laisser la ville en ruines. Ensuite, Straff pourra revenir chercher son atium, une fois que les koloss en auront fini.
— À supposer qu’ils s’en aillent, mon cher.
Clampin haussa les épaules.
— Dans un cas comme dans l’autre, c’est dans l’intérêt de Straff. Il affrontera un ennemi affaibli au lieu de deux puissants.
Brise frissonna et serra sa cape contre lui.
— Vous dites tout ça avec une telle… franchise.
— Nous étions morts dès l’arrivée de la première armée, Brise, répondit Clampin. Simplement, nous sommes doués pour faire traîner les choses.
Au nom du Seigneur Maître, pourquoi est-ce que je passe mon temps avec cet homme ? se demanda Brise. Ce n’est rien qu’un prophète de malheur. Et pourtant, Brise connaissait les gens. Cette fois, Clampin n’exagérait pas.
— Ce n’est pas vrai, marmonna Brise.
Clampin se contenta de hocher la tête et s’appuya contre le mur pour regarder disparaître l’armée.
— Trois cents hommes, déclara Ham. Enfin, d’après nos éclaireurs.
— C’est moins terrible que je ne m’y attendais, répondit Elend.
Ils se tenaient dans le bureau d’Elend, avec pour toute autre compagnie celle de Spectre, qui se prélassait assis derrière la table.
— El, reprit Ham. Cett n’avait emmené que mille de ses hommes à Luthadel. Ce qui signifie que pendant l’attaque de Vin, Cett a subi trente pour cent de pertes en moins de dix minutes. Même sur un champ de bataille, la plupart des armées se retirent si elles subissent trente ou quarante pour cent de pertes au cours d’une seule journée de combats.
— Ah, répondit Elend, songeur.
Ham secoua la tête, s’assit et se servit à boire.
— Je n’y comprends rien, El. Pourquoi est-ce qu’elle l’a attaqué ?
— Elle est timbrée, répondit Spectre.
Elend ouvrit la bouche pour le contredire, mais s’aperçut qu’il avait du mal à expliquer ses intuitions.
— Je ne sais pas trop pourquoi elle l’a fait, admit-il. Elle a effectivement affirmé qu’elle ne croyait pas que les assassins de l’Assemblée aient été envoyés par mon père.
Ham haussa les épaules. Il paraissait… défait. S’occuper d’armées et s’inquiéter du sort de royaumes, ce n’était pas son élément. Il préférait se soucier de sphères plus petites.
Évidemment, songea Elend, tout comme je préférerais lire tranquillement dans mon fauteuil. Mais nous agissons par nécessité.
— Vous avez eu des nouvelles de Vin ? demanda Elend.
Spectre secoua la tête.
— L’onc’ Grincheux fait fouiller la ville par ses éclaireurs, mais rien pour l’instant.
— Si Vin ne veut pas qu’on la trouve…, commença Ham.
Elend se mit à faire les cent pas. Il ne parvenait pas à rester tranquille ; il commençait à croire qu’il devait ressembler à Jastes, qui tournait en rond tout en se passant la main dans les cheveux.
Un peu de fermeté, se dit-il. Tu peux te permettre de paraître inquiet, mais jamais hésitant.
Il continua de faire les cent pas puis ralentit l’allure et n’exprima pas tout haut ses inquiétudes à Spectre et Ham. Et si Vin était blessée ? Et si Cett l’avait tuée ? Leurs éclaireurs n’avaient presque rien vu de l’attaque de la veille. Vin y était mêlée sans le moindre doute possible, et des rapports contradictoires affirmaient qu’elle avait combattu un autre Fils-des-brumes. Elle avait quitté le bastion alors que l’un des étages supérieurs était en flammes – et, pour des raisons qui leur échappaient, elle avait laissé à Cett la vie sauve.
Personne ne l’avait vue depuis.
Elend ferma les yeux et s’appuya d’une main contre le mur de pierre. Je l’ai ignorée ces derniers temps. J’ai aidé la ville… mais à quoi bon sauver Luthadel si je la perds, elle ? C’est comme si je ne la connaissais plus.
Mais l’ai-je jamais vraiment connue ?
Il manquait quelque chose, sans Vin à ses côtés. Il en était venu à se fier à son extrême franchise. Il avait besoin de son réalisme sincère – de son sens aigu du concret – pour garder les pieds sur terre. Il avait besoin de l’étreindre, pour pouvoir se rappeler qu’il existait plus important que les théories et les concepts.
Il l’aimait.
— Je ne sais pas, El, dit enfin Ham. Je n’ai jamais estimé que Vin nous gênerait, mais elle a eu une enfance très dure. Je me rappelle une fois où elle a piqué une crise contre la bande sans vraie raison, en hurlant au sujet de son enfance. Je… ne suis pas sûr qu’elle soit totalement stable.
Elend ouvrit les yeux.
— Si, Ham, elle l’est, répondit-il d’une voix ferme. Et bien plus compétente que beaucoup d’entre nous.
Ham fronça les sourcils.
— Mais…
— Elle avait de bonnes raisons d’attaquer Cett, poursuivit Elend. J’ai confiance en elle.
Ham et Spectre échangèrent des coups d’œil, et Spectre se contenta de hausser les épaules.
— Il n’y a pas que la nuit dernière, El, insista Ham. Quelque chose ne tourne pas rond chez elle – et pas que sur le plan mental…
— Que voulez-vous dire ? demanda Elend.
— Vous vous rappelez cette attaque contre l’Assemblée ? Vous m’avez dit l’avoir vue se faire frapper de plein fouet par le bâton d’un Cogneur.
— Et alors ? Elle a dû passer les trois jours suivants alitée.
Ham secoua la tête.
— L’ensemble des blessures qu’elle a reçues – le coup au flanc, la plaie à l’épaule, le fait d’avoir failli mourir étranglée –, tout ça accumulé, ça l’a mise hors combat pour quelques jours. Mais si elle s’était vraiment fait frapper si fort que ça par un Cogneur, elle n’aurait pas dû être alitée pendant quelques jours, Elend. Elle aurait dû l’être pendant des semaines. Voire plus. Elle n’aurait absolument pas pu s’en sortir sans côtes brisées.
— Elle brûlait du potin, répondit Elend.
— Sans doute que le Cogneur aussi.
Elend hésita.
— Vous voyez ? reprit Ham. S’ils brûlaient du potin tous les deux, ils auraient dû être de force égale. Ce qui nous donnerait Vin – qui ne doit pas peser plus de cinquante kilos – en train de se faire rosser par un soldat entraîné qui fait trois fois son poids. Elle s’en est remise avec à peine quelques jours de repos.
— Vin est à part, répondit Elend.
— Je ne vais pas vous contredire sur ce point, dit Ham. Mais il reste qu’elle nous cache des choses. Qui était cet autre Fils-des-brumes ? Certains comptes-rendus donnent l’impression qu’ils travaillaient ensemble.
Elle a dit qu’il y avait un autre Fils-des-brumes en ville, songea Elend. Zane – le messager de Straff. Elle n’a pas parlé de lui depuis très longtemps.
Ham se frotta le front.
— Tout ça est en train de s’effondrer autour de nous, El.
— Kelsier aurait réussi à tout maintenir en place, marmonna Spectre. Quand il était là, même nos échecs faisaient partie de son plan.
— Le Survivant est mort, répliqua Elend. Je ne l’ai jamais connu, mais j’en ai assez entendu sur lui pour apprendre une chose : il ne cédait pas au désespoir.
Ham sourit.
— Ce n’est rien de le dire. Il riait et plaisantait le lendemain du jour où nous avons perdu toute notre armée à cause d’une erreur de calcul. Ce sale arrogant.
— Sans cœur, ajouta Spectre.
— Non, dit Ham en s’emparant de sa coupe. C’était ce que je pensais avant. Maintenant… je crois qu’il était simplement déterminé. Kell regardait toujours vers l’avenir, quelles qu’en soient les conséquences.
— Eh bien, nous devons faire de même, répondit Elend. Cett est parti – Penrod l’a laissé filer. Nous ne pouvons rien y changer. Mais nous disposons bel et bien d’informations sur l’armée des koloss.
— Ah oui, d’ailleurs, intervint Spectre, qui plongea la main dans sa bourse et jeta quelque chose sur la table. Vous aviez raison – elles sont pareilles.
La pièce roula puis s’arrêta, et Elend s’en empara. Il voyait l’emplacement où Spectre l’avait raclée à l’aide d’un couteau, retirant la peinture dorée pour révéler du bois dur en dessous. C’était une piètre imitation d’une castelle ; rien d’étonnant à ce que les fausses aient été si faciles à distinguer. Seul un idiot tenterait de les faire passer pour vraies. Un idiot, ou un koloss.
Personne ne savait exactement combien de fausses castelles de Jastes étaient parvenues jusqu’à Luthadel ; peut-être avait-il tenté de les donner aux paysans ou aux mendiants de son dominat d’origine. Quoi qu’il en soit, il était facile de deviner où il voulait en venir. Il avait eu besoin d’une armée, et d’argent. Il avait fabriqué le second pour obtenir la première. Seuls les koloss avaient pu tomber dans un tel panneau.
— Quelque chose m’échappe, commenta Ham tandis qu’Elend lui tendait la pièce. Comment se fait-il que les koloss aient soudain décidé de gagner de l’argent ? Le Seigneur Maître ne les a jamais payés.
Elend se remémora son expérience dans le camp. Nous sommes humains. Nous allons vivre dans votre ville…
— Ils sont en train de changer, Ham, déclara Elend. À moins que nous ne les ayons jamais compris, tout simplement. Quoi qu’il en soit, nous devons être forts. Tout ça n’est pas encore terminé.
— Ce serait plus facile d’être fort si j’avais la certitude que notre Fille-des-brumes n’est pas folle. Elle ne nous a même pas parlé de ça !
— Je sais, répondit Elend.
Ham se leva, secouant la tête.
— Il y a une raison si les Grandes Maisons ont toujours hésité à utiliser leurs Fils-des-brumes les uns contre les autres. Les choses devenaient sacrément plus dangereuses. Si Cett a bel et bien un Fils-des-brumes, et qu’il décide de se venger…
— Je sais, répéta Elend en leur faisant ses adieux.
Ham fit signe à Spectre et tous deux s’en allèrent rejoindre Brise et Clampin.
Ils se montrent tous d’humeur si sombre, songea Elend tandis qu’il quittait ses appartements pour aller chercher à manger. Comme s’ils nous croyaient tous condamnés à cause d’un contretemps. Mais c’est une bonne chose que Cett se retire. L’un de nos ennemis s’en va – et il reste deux armées là-dehors. Jastes n’attaquera pas s’il risque ainsi de s’exposer à Straff, et Straff lui-même a trop peur de Vin pour faire quoi que ce soit. En fait, l’attaque de Vin contre Cett ne va servir qu’à effrayer mon père encore davantage. C’est peut-être pour ça qu’elle l’a fait.
— Majesté ? chuchota une voix.
Elend se retourna et fouilla le couloir du regard.
— Majesté, dit une silhouette de petite taille parmi les ombres – OreSeur. Je crois que je l’ai retrouvée.
Elend n’emmena personne d’autre avec lui qu’une poignée de gardes. Il ne voulait pas expliquer à Ham et aux autres comment il avait obtenu ses informations ; Vin insistait toujours pour garder le secret au sujet d’OreSeur.
Ham a raison sur un point, se dit Elend tandis que sa voiture s’arrêtait. Elle cache des choses. En permanence.
Mais ça ne l’empêchait pas de lui faire confiance. Il adressa un signe de tête à OreSeur, et tous deux quittèrent le véhicule. Elend congédia ses gardes alors qu’il approchait d’un bâtiment délabré. Il avait dû s’agir de la boutique d’un commerçant pauvre – un endroit tenu par quelqu’un de la très basse noblesse, qui vendait des produits de première nécessité aux ouvriers skaa en échange de jetons de nourriture, qu’ils pouvaient à leur tour échanger contre de l’argent auprès du Seigneur Maître.
Le bâtiment se trouvait dans un secteur que les équipes de récupération de combustible d’Elend n’avaient pas encore atteint. Mais de toute évidence, il n’avait guère servi ces derniers temps. Il avait été saccagé longtemps auparavant et une couche de cendre d’une bonne dizaine de centimètres recouvrait le sol. Une petite série d’empreintes de pas menait en direction d’un escalier situé tout au fond.
— Qu’est-ce que c’est que cet endroit ? demanda Elend, pensif.
OreSeur haussa une paire d’épaules canines.
— Alors comment avez-vous su qu’elle était ici ?
— Je l’ai suivie la nuit dernière, Majesté, répondit OreSeur. J’ai vu la direction générale qu’elle empruntait. Après quoi il m’a suffi d’une fouille approfondie.
Elend fronça les sourcils.
— Ce qui doit déjà avoir demandé de sacrées capacités de pistage, kandra.
— Ces os possèdent des sens d’une étonnante finesse.
Elend hocha la tête. L’escalier débouchait sur un long couloir aux extrémités desquelles se trouvaient plusieurs portes. Il entreprit de remonter le couloir, puis s’arrêta. Sur un côté, on avait fait coulisser un panneau mural, dévoilant un petit débarras. Il entendait des mouvements à l’intérieur.
— Vin ? appela-t-il en passant la tête dans le débarras.
Une petite pièce était cachée derrière le mur, et Vin était assise contre le mur du fond. La pièce – qui tenait plutôt du recoin en réalité – mesurait moins de deux mètres de large, et même Vin n’aurait pas été en mesure de s’y tenir debout. Elle ne réagit pas. Elle resta simplement assise contre le mur, détournant la tête de lui.
Elend se glissa à l’intérieur de la petite pièce et se macula les genoux de cendres. Elle était à peine assez large pour qu’il puisse entrer sans cogner Vin.
— Vin ? Tout va bien ?
Elle retournait quelque chose entre ses doigts. Et elle regardait le mur – à travers un trou étroit. Elend voyait briller la lumière du soleil à travers.
C’est un judas, comprit-il. Pour surveiller la rue en contrebas. Ce n’est pas une boutique – c’est une planque de voleurs. Ou du moins, ça l’était.
— Avant, je croyais que Camon était quelqu’un d’horrible, déclara tout bas Vin.
Elend s’arrêta, sur les mains et les genoux. Enfin, il s’installa tant bien que mal en position assise. Au moins Vin ne semblait-elle pas blessée.
— Camon ? demanda-t-il. Ton ancien chef de bande, avant Kelsier ?
Vin hocha la tête. Elle se détourna de la fente, entourant les genoux de ses bras.
— Il battait les gens, il tuait ceux qui n’étaient pas d’accord avec lui. Même parmi les voleurs, il était brutal.
Elend fronça les sourcils.
— Et pourtant, poursuivit-elle, je ne crois pas qu’il ait tué autant de gens dans toute sa vie que moi hier soir.
Elend ferma les yeux. Puis il les rouvrit et se rapprocha légèrement pour poser la main sur son épaule.
— C’étaient des soldats ennemis, Vin.
— J’étais comme un enfant dans une pièce remplie d’insectes, murmura-t-elle.
Il voyait enfin ce qu’elle tenait entre les doigts. C’était sa boucle d’oreille, le simple clou de bronze qu’elle portait en permanence. Elle baissa les yeux vers elle et la retourna entre ses doigts.
— Je t’ai déjà dit comment je l’ai eue ? reprit-elle. (Il secoua la tête.) C’est ma mère qui me l’a donnée. Je ne m’en souviens pas – c’est Reen qui me l’a raconté. Ma mère… des fois, elle entendait des voix. Elle a tué ma petite sœur encore bébé, et sauvagement. Et le même jour, elle m’a donné ça, une de ses propres boucles d’oreilles. Comme si… elle m’avait choisie plutôt que ma sœur. Une punition pour l’une, un cadeau tordu pour l’autre.
Ne sachant trop que faire, Elend l’attira plus près. Mais elle se raidit.
— Il y avait une bonne raison à ce que tu as fait, lui dit-il.
— Mais non, répondit Vin. Je voulais simplement leur faire du mal. Je voulais leur faire peur pour qu’ils te laissent tranquille. Ça a l’air puéril, mais c’est ce que je ressentais.
— Ce n’est pas puéril, Vin. C’était une bonne stratégie. Tu as offert à nos ennemis une démonstration de puissance. Tu as fait fuir un de nos principaux adversaires, et maintenant mon père va avoir encore plus peur d’attaquer. Tu nous as permis de gagner du temps !
— Au prix de centaines de vies.
— Celles de soldats ennemis qui ont envahi notre ville, lui rappela Elend. Des hommes qui protégeaient un tyran qui opprime son peuple.
— C’est exactement comme ça que Kelsier se justifiait, répondit doucement Vin, quand il tuait des nobles et leurs gardes. Il disait qu’ils soutenaient l’Empire Ultime et qu’ils méritaient de mourir. Il me faisait peur.
Elend ne sut que répondre.
— C’était comme s’il se prenait pour un dieu, poursuivit-elle. Qui donnait ou retirait la vie comme bon lui semblait. Je ne veux pas lui ressembler, Elend. Mais on dirait que tout me pousse dans cette direction.
— Je…
Tu n’es pas comme lui, voulait-il lui répondre. C’était la vérité, mais les mots refusaient de sortir. Ils sonnaient creux à ses propres oreilles.
Il se contenta donc d’attirer Vin plus près de lui, son épaule contre sa poitrine, la tête sous son menton.
— J’aimerais tant connaître les mots justes, Vin, chuchota-t-il. Te voir comme ça tiraille tout l’instinct protecteur que je possède. Je veux arranger les choses – je veux tout réparer – mais je ne sais pas comment. Dis-moi que faire. Dis-moi simplement comment je peux t’aider !
Elle résista légèrement à son étreinte dans un premier temps, mais soupira ensuite tout bas, glissa les bras autour de lui et le serra très fort.
— Tu ne peux pas m’aider pour ça, dit-elle tout bas. Je dois le faire seule. Je dois… prendre certaines décisions.
Il hocha la tête.
— Tu vas prendre les bonnes, Vin.
— Tu ne sais même pas ce que je dois décider.
— Aucune importance, répondit-il. Je sais que je ne peux pas t’aider – je n’ai même pas réussi à conserver mon propre trône. Tu es dix fois plus compétente que moi.
Elle lui serra le bras.
— Ne dis pas ce genre de choses. S’il te plaît.
Il fronça les sourcils en percevant une certaine tension dans sa voix, puis hocha la tête.
— D’accord. Mais quoi qu’il en soit, je te fais confiance. Prends tes décisions – je te soutiendrai.
Elle hocha la tête et se détendit légèrement entre ses bras.
— Je crois…, commença-t-elle. Je crois qu’il faut que je quitte Luthadel.
— Partir ? Pour aller où ?
— Au nord, répondit-elle. Vers Terris.
Elend s’appuya en arrière contre le mur de bois. Partir ? se dit-il avec une sensation de déchirement. Alors c’est ce que j’ai gagné pour m’être montré si distrait récemment ?
Est-ce que je l’ai perdue ?
Et pourtant, il venait de lui dire qu’il soutiendrait ses décisions.
— Si tu as le sentiment que tu dois partir, Vin, s’entendit-il répondre, alors fais-le.
— Si je partais, tu viendrais avec moi ?
— Maintenant ?
Vin acquiesça, frottant de sa tête la poitrine d’Elend.
— Non, répondit-il enfin. Je ne pourrais pas quitter Luthadel, pas alors que ces armées sont toujours là-dehors.
— Mais la ville t’a rejeté.
— Je sais, dit-il en soupirant. Mais… Je ne peux pas l’abandonner, Vin. Elle m’a rejeté, mais je refuse de l’abandonner.
Vin hocha de nouveau la tête, avec l’intuition que c’était là la réponse qu’elle avait anticipée.
Elend sourit.
— Nous sommes pitoyables, hein ?
— Incorrigibles, répondit-elle doucement, soupirant tout en s’écartant enfin de lui.
Elle paraissait si fatiguée. À l’extérieur de la pièce, Elend entendit des bruits de pas. OreSeur apparut l’instant d’après, passant la tête dans la cachette.
— Vos gardes s’impatientent, Majesté, dit-il à Elend. Ils vont bientôt venir à votre recherche.
Elend hocha la tête et se traîna vers la sortie. Une fois dans le couloir, il tendit la main pour aider Vin à s’extraire. Elle la saisit, sortit en rampant, puis se leva et épousseta ses vêtements – sa chemise et son pantalon habituels.
Est-ce qu’elle reviendra jamais aux robes, désormais ? se demanda-t-il.
— Elend, dit-elle en fouillant dans sa poche. Tiens, tu peux le dépenser si tu veux.
Elle ouvrit la main et laissa tomber dans la sienne une bille de métal.
— De l’atium ? demanda-t-il, incrédule. Où l’as-tu trouvé ?
— Un ami me l’a donné, dit-elle.
— Et tu ne l’as pas brûlé la nuit dernière ? Alors que tu combattais tous ces soldats ?
— Non, répondit Vin. Je l’ai avalé, mais en fin de compte je n’en ai pas eu besoin, alors je me suis forcée à le recracher.
Seigneur Maître ! songea Elend. Je n’ai même pas envisagé qu’elle puisse ne pas avoir d’atium. De quoi aurait-elle été capable si elle avait brûlé ce fragment ? Il leva les yeux vers elle.
— D’après certains rapports, il y aurait un autre Fils-des-brumes en ville.
— En effet. C’est Zane.
Elend laissa retomber la bille dans la paume de Vin.
— Alors garde-le. Tu en auras peut-être besoin pour l’affronter.
— J’en doute fort, répondit Vin tout bas.
— Garde-le quand même, insista Elend. Ça vaut une petite fortune – mais il nous faudrait une immense richesse pour que ça change quoi que ce soit à présent. Et puis, qui l’achèterait ? Si je m’en servais pour soudoyer Straff ou Cett, ça ne servirait qu’à les convaincre encore davantage que je leur cache cet atium.
Vin hocha la tête, puis lança un coup d’œil à OreSeur.
— Gardez-la, lui dit-elle en lui tendant la bille. Elle est assez grosse pour qu’un autre allomancien puisse me l’arracher s’il le voulait.
— Je veillerai soigneusement dessus, Maîtresse, répondit OreSeur, dont l’épaule se fendit afin de laisser de la place à la bille de métal.
Vin se retourna pour rejoindre Elend et descendre les marches à la rencontre des soldats.